Lundi : en arrivant au bureau t’as envie de te suicider , et c’est bien normal . Le temps d’attraper un expresso à la bécane , de passer dans ton enclos ramasser ton bilan de la semaine dernière ( “Efficace et pertinent ce stagiaire , j’aime !” ) , et tu rejoins la meute dans la salle de réunion . Et tandis que tu prends place autour de la table , bien au fond derrière la grosse Corinne du marketing , des questions fondamentales et éminemment professionnelles t’assaillent :
1- Mais qui a acheté ces mini-viennoiseries de supermarché ? A la fois sèches et graisseuses ? Visiblement moins nombreuses que la semaine dernière ? Doit-on y déceler une nouvelle démarche économique désespérée de la boîte ? Signe que tu dois t’inquiéter pour ton poste ? Ou Corinne est-elle arrivée à 6 du mat le ventre vide ? “Excuse-moi , t’as des miettes là .”
2- Où Jean-Mi a-t-il passé le week-end ? Parce qu’au vu de sa tenue en tous points identique à celle de vendredi , en plus froissée , avec la même tâche de sauce kamikaze illuminant sa chemisette blanchâtre-grisouilloute-jaune-sous-les-bras et les mêmes chaussettes de sport deux bandes dépassant fort peu élégamment de son complet “La Halle” , il semble ne pas avoir eu accès au domicile conjugal . Ca pue la merde Jean-Mi on dirait ! Bobonne a-t-elle fini par découvrir ton irrépressible penchant pour les escapades au Formule 1 avec les radasses imbibées dès le matin que tu lèves régulièrement au troquet du coin ? N’a-t-elle même pas eu l’élémentaire charité de te laisser boucler un maigre baluchon de rechange avant de t’y réexpédier , au Formule 1 ?
3- Qui aura un jour le courage d’expliquer à cette pauvre Patricia de la compta , ce maillon d’entreprise ridiculement corporate à la grâce masculine , à la chevelure désespérément chétive jonchant ses épaules de nageur olympique et aux gestes patauds , qu’elle a à peu près autant de chances de conclure avec l’assistant du DRH , le bel hipster barbu que l’immeuble entier vous envie , toujours impeccablement cintré dans des costard de créateur l’obligeant à bouffer des pâtes à la polonaise tous les jours et qui gère la trottinette en open space avec un flegme et une zenitude absolus , qu’elle a autant de chances de conclure avec lui donc , que de décrocher un contrat d’exclusivité chez L’Oréal ? Qui osera verrouiller pour toujours son statut de vieille fille qui sent la pisse de chat et briser ainsi tous ses rêves de maternité ? Parce que la voir s’extasier comme une mouflette pré-pubère dès qu’il bouge un cil , franchement ça brise le coeur .
4- Il est où Francis ? Rho le con ! Il a encore faire tirer le week-end c’t’enculé ! Et qu’a-t-il bien pu invoquer comme prétexte cette fois-ci ? ... Ah ben non le voilà : tête dans le fion de compèt , souffle anisé , yeux striés de veines rouges , gestes incertains , excuse pâteuse , hésitation trop longue entre deux chaises vides , ça a du écluser jusque tard dans la nuit , Champion !
5- Bon il en a encore pour longtemps le Jean-Sèb là ? C’est pas que c’est chiant ce qu’il dit ... Faut dire qu’il y met un entrain limite euphorique , à remplir l’espace d’épuisantes gesticulations motivées et à faire de l’ombre à ses propres camemberts sur le vidéo-pro . Quoi que si en fait c’est chiant , et tu grillerais bien une petite clope , histoire de te donner en peu de watt avant d’enfiler ton air navré-inquiet-impliqué de circonstances pour déballer à ton tour tes modestes résultats de la semaine dernière , assortis d’une pléiade de justifications morveuses mais habillement structurées par ton précieux stagiaire .
6- C’est quoi déjà le menu à midi ?